Le retour des morts, John Ajvide Lindqvist

Comme pour son précédent (et premier) roman, Lindqvist ne manque pas d’ambition, ce qui dans un registre tellement rebattu ne peut qu’être louable. Hélas, en soulevant une question que personne ne pose habituellement et en décidant d’y donner SA réponse, il condamne son livre à décevoir tous ceux à qui cette réponse ne convient pas tout à fait ou pas du tout.

Titre original : Hanteringen av odöda, 2005
Traduction : Carine Bruy
Éditeur : Télémaque ; une édition en poche chez Pocket
Sortie : Juin 2012
ISBN : 978-2-7533-0152-8

 

Déçu je suis d’être déçu à la lecture de ce livre. Le précédent m’avait suffisamment plu, malgré ses défauts – un premier roman, normal – pour me donner envie de suivre l’évolution de John Ajvide Lindqvist. Laisse-moi entrer (Morse, au cinéma) dénotait un réel talent pour réinterpréter les vieux thèmes en campant dans une Suède contemporaine assez glauque et bien éloignée du paradis social-démocrate tant vanté une histoire de vampires moderne tout en restant romantique et noire à souhait.

Cette fois, c’est sur les zombies que l’auteur jette son dévolu. À Stockholm, aujourd’hui, à la suite d’un orage électro-magnétique d’une ampleur inhabituelle, les morts des deux mois précédents ressuscitent. Pourquoi deux mois seulement ? Pour que les cadavres ne soient pas trop décatis et puissent tenir debout, et parce que l’auteur a décidé de nous épargner les morceaux de bravoure habituels – un désemparé mais valeureux groupe de survivants cerné dans une maison transformée en bunker par une horde de morts-vivants affamés – pour se consacrer à l’essentiel, c’est-à-dire… l’âme.

C’est l’intérêt principal de ce livre de se pencher sur cette problématique de l’univers zombiesque. Avant de mourir, un être humain est doté d’une âme (pour les adeptes, à différents degrés, de croyances survivalistes) ou pas (pour les autres). Lorsque l’être humain meurt, pour les premiers la personnalité du défunt survit sous une autre forme, dans une autre réalité, avec « l’envol » de l’âme, et pour les seconds elle disparaît à jamais (je vous le fais à gros traits). Quand les morts sortent de leur tombe, la convention veut qu’ils ne soient plus que l’ombre d’eux-mêmes, enveloppes vides et hagardes sans aucune dignité ne rêvant que de s’empiffrer de cervelles fraîches. Les deux camps sont gagnants, les survivalistes pouvant prétendre que l’âme est restée bien au chaud dans son paradis de lumière et que seule l’enveloppe corporelle est revenue à un semblant de vie, et les adeptes du grand néant ayant beau jeu de prétendre que cette absence de retour de l’âme dans le corps ressuscité prouve l’inexistence d’icelle. Sauf que personne ne prétend rien, parce que cette question n’est (à ma connaissance, mais je ne suis pas spécialiste) jamais posée. L’auteur, lui, se l’est posée. Il en fait même rapidement l’enjeu essentiel de son roman. Le problème est qu’il y répond et prend partie dans le grand débat – une âme ? pas d’âme ? – d’une façon qui ne pourra satisfaire que ceux qui sont du même avis que lui. (Je n’en dis pas plus, pour ne pas spoiler.)

La fin, comme pour Laisse-moi entrer, est bâclée. L’auteur publie beaucoup, sans doute y est-il forcé par les réalités économiques, on ne le lui reprochera pas, mais on ne peut que constater que le temps lui a manqué pour dérouler jusqu’au bout la pelote de son histoire. Bien des pistes esquissées sont à peine explorées. On est aussi désolé, en refermant le livre, qu’après avoir vu un jongleur doué lancer habilement une multitude de balles en l’air et se vautrer en n’en rattrapant aucune. Surnagent dans ce désastre quelques moments de grâce, car Lindqvist aime ses personnages et parvient à les faire aimer.

Il paraît que certaines scènes du bouquin sont déjà culte (j’ai lu ça je ne sais où). Je vous épargne celle où un grand-père éploré donne un bain à son petit-fils « revivant », décédé depuis deux mois, qu’il est allé déterrer à mains nues au cimetière. Je préfère vous donner un aperçu (plus gore encore, mais dans un registre sentimental, vous voilà prévenus) de la scène ou la mère dudit gamin tente de communiquer avec lui.

Mahler la suivit dans la chambre. Ils s’installèrent sur le lit d’Elias, l’un à côté de l’autre. « Salut, mon chéri, fit-elle. Maintenant nous sommes là tous les deux. (Elle se tourna vers Mahler.) Papa. Regarde son visage et dis-moi si je suis folle. » Mahler obtempéra. Ce qu’il avait aperçu quand Elias buvait son biberon avait disparu. Son visage était fermé, sans vie. Son cœur se serra. Anna baissa le drap. Mahler vit qu’elle lui avait mis un de ses anciens pyjamas restés au chalet qui ne lui arrivait qu’aux genoux. Anna posa l’index et le majeur de l’une de ses mains sur la cuisse d’Elias, puis elle commença à les faire remonter vers son ventre en fredonnant : « C’est la petite souris… qui monte, qui monte… » Ses doigts étaient à présent sur la hanche d’Elias. « Elle monte et grimpe… et soudain, elle dit… » Anna appuya sur son nombril. « Pip ! » Et Mahler vit. Juste une esquisse, comme un infime tressaillement, mais c’était bel et bien là : Elias souriait.

Illustrations : 1 – Arnold Boecklin (1827-1901), L’île des morts, version de Berlin (1883, doc. Wikipedia). 2 – Couverture du livre, doc. Télémaque. 3 – John Ajvide Lindqvist, © Laurent Denimal, doc. Télémaque.

[samedi 25 janvier 2014, 11:24 UTC+01]

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