Interview de Laurent Pépin, pour la sortie de son roman court ‘Angélus des ogres’

Il y a un an sortait ‘Monstrueuse féerie’, de Laurent Pépin, premier volume de notre collection de romans courts francophones La Tangente. Ni l’auteur ni moi-même n’avons ménagé nos efforts depuis pour assurer à ce texte l’audience qu’à mon avis il mérite, et à l’échelle de la micro-édition qui est celle de Flatland éditeur, les efforts ont payé puisque ce texte a suscité une certaine reconnaissance et qu’il commence à trouver son public. Aujourd’hui paraît le deuxième tome de cette trilogie de romans courts, ‘Angélus des ogres’ (qui sera suivi de ‘Clapotille’), toujours dans la même collection, l’occasion était trop belle de faire avec l’auteur un point d’étape sur cette aventure hors du commun.

 

Une année s’est écoulée depuis la sortie de Monstrueuse féerie. En tant qu’auteur, quel bilan tires-tu de cette première publication ?

Les réactions plus que positives, du lectorat comme de la critique, m’ont bien entendu fait plaisir, mais elles m’ont surtout conforté dans mon désir de continuer à écrire des textes décalés, étranges, colorés, poétiques, humoristiques, noirs, suivant mes inspirations, mes envies et – il faut bien le reconnaître – suivant mon expérience personnelle, puisque l’un de mes partis pris consiste à sublimer les événements de mon existence, en les magnifiant ou, au contraire, en les transformant de manière parfois absurde, parfois gothique, voire horrifique. Ce qui m’a agréablement surpris, c’est que j’ai le sentiment que, quelles que soient les interprétations qui ont pu être faites – et qui divergent souvent – de Monstrueuse féerie, la plupart des lecteurs ont compris qu’il ne s’agissait ni d’une autobiographie déjantée et truquée, ni d’une fiction pure, mais d’un exercice de sublimation. Il ne s’agit pas non plus d’un exercice de style, car il me semble y avoir dans ce récit une réelle poétique, un souffle, que beaucoup ont perçu. Une lectrice a écrit un jour sur un blog qu’elle était complètement perdue à la lecture de Monstrueuse féerie, qu’elle n’était pas sûre d’avoir tout compris, mais qu’elle avait adoré ça et qu’elle s’était littéralement laissée porter par les mots. Quel plus beau compliment pour un écrivain ?

Angélus des ogres est présenté comme « la suite » de Monstrueuse féerie. Est-ce à dire qu’il faut absolument avoir lu le premier avant de lire le deuxième ?

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir lu Monstrueuse féerie pour se plonger dans Angélus des ogres. Il s’agit, certes, d’un texte qui fait suite, mais c’est surtout un texte qui fait un pas de côté, plus fantaisiste, plus romanesque également. L’humour y est d’ailleurs souvent plus tendre ou absurde et nettement moins noir que dans Monstrueuse féerie. En réalité, cette suite est un alibi. Je souhaitais écrire autre chose, autrement, tout en assumant clairement ce que j’avais déjà écrit. Je voulais, par exemple, produire un vrai récit, ce qui n’est sans doute pas tout à fait le cas de Monstrueuse féerie, qui était un texte initialement pensé pour la scène – idée vite abandonnée. Je n’étais pas certain, quand j’ai commencé Angélus des ogres de vouloir reprendre mon narrateur. J’envisageais de tout changer, de repartir de zéro, mais finalement j’ai trouvé ça dommage. La fin de Monstrueuse féerie, c’est quand même l’affirmation que la seule solution face au désespoir c’est d’assumer sa folie et la poésie qu’on ne peut pas y soustraire… Ou l’inverse. Le fait de – tout compte fait – reprendre mon narrateur, devenu patient-salarié du Centre psychiatrique dans lequel il travaille, m’a également permis d’effectuer un tour d’horizon très personnel de l’évolution de la psychiatrie au cours de ces trente ou quarante dernières années : son but n’est plus d’accueillir et d’accepter inconditionnellement la folie d’individus qui ne sont plus insérables sans encourir un grand danger dans la société. Non seulement par réalisme socio-économique, mais également – et cela me semble beaucoup plus grave – parce que ce milieu est devenu le terrain de jeu des expérimentations visant à identifier et estimer l’humain en fonction de l’efficacité de sa pensée, à développer des outils de reprogrammation humaine, naturellement voués à l’échec. Le résultat, c’est que les plus malades y sont lésés, par refus de considérer la poétique de leurs trouvailles. Qui plus est, le plus souvent il n’y pas plus vraiment de place en psychiatrie pour les patients qui essaient vaille que vaille d’inventer quelque chose afin de se tenir debout face au vivant. En somme, on est tombé dans des méthodes qui ne soignent plus que des gens qui ne sont pas vraiment malades. Les autres n’ont qu’à se soumettre ou partir à la rue… Or, je voulais quand même en dire quelque chose, moi, de cette évolution, certes à ma façon, c’est-à-dire que l’aspect pamphlétaire est biaisé par l’apparence absurde de mon propos, mais je voulais en parler coûte que coûte. Quoi de mieux que reprendre mon narrateur initial, psychologue en pleine décompensation qui devient patient du Centre dans lequel il travaille ?

On a pu te reprocher l’ambiance très noire – parfois même « gore », ont estimé certains – de ton premier récit. Cette suite reste-t-elle dans cette lignée ?

L’ambiance est sensiblement différente dans Angélus des ogres. L’humour est plus présent et plus doux, en tout cas dans la première moitié. Le romantisme indécrottable du narrateur s’y fait moins éploré, parce que l’histoire d’amour qu’il vit est tout à fait différente : elle est partagée par le personnage de « Lucy », une thanatopractrice qui capture les « traits unaires » (terme psychanalytique que l’on pourrait définir grossièrement comme le trait irréductible de la différence d’un sujet) des personnes décédées afin de les mettre en bocaux et de les offrir à leurs proches en guise de souvenirs. Elle va essayer de capturer, avec une méthode analogue, les monstres-souvenirs du narrateur, pour l’aider à vivre… Seulement il y a quelque chose qui résiste en lui, parce qu’il sait bien que ses monstres lui appartiennent, qu’au fond il les a créés. Peut-être pas au départ mais en tout cas par la façon dont il les cultive depuis. De fait, la thématique développée autour des Monstres change : ce texte est nettement moins centré sur l’enfance du narrateur, mais plus sur l’énigme de sa personnalité d’adulte. En d’autres termes, il a conscience qu’il est responsable de ses « Monstres », même s’il préférerait ne pas le savoir, et il sait qu’il y a des décisions et des actes qui lui appartiennent dans les Monstres qui l’assaillent. Je suppose que c’est pour ça que le texte se fait davantage absurde et gothique à la fois. Il me semble aussi que le style, plus proche du récit traditionnel, est un peu différent. Les phrases sont plus courtes, les envolées lyriques moins fréquentes.

Un troisième « épisode » est annoncé, sous le titre de Clapotille. Est-ce à dire que tu t’embarques pour une série ou s’agira-t-il d’une trilogie ?

Ce sera le dernier de la série. Là encore, il s’agit tout à la fois d’une suite et d’une autre version d’un même texte. Là encore, il y aura de nombreux changements imprimés par la traversée du miroir effectuée par le narrateur et désormais achevée. Le contexte sera nettement plus conceptuel : on est dans une société où les autorités ont interdit le rêve, le narrateur ne travaille plus depuis une douzaine d’années et est obligé de s’enchaîner, la nuit, à cause des figures de contes qui prennent possession de son corps et de son esprit… Clapotille ne peut pas être autre chose que le dernier. Par ailleurs, mon écriture évolue encore, avec un retour à une certaine forme de poésie, mais sans avoir recours à de longues tournures verbales, comme il pouvait y avoir dans Monstrueuse féerie. Et, ce qui m’a le plus intéressé : j’introduis une seconde narratrice, sous les traits de la petite Clapotille, fillette qu’il a dessinée dans le sable enneigé par une nuit de solitude et qui a pris vie sous ses yeux…

Finalement, que sont ces textes, en terme de format ? Cela semble important dans ce pays ou tout doit pouvoir se ranger dans des cases. « Novella » ou « roman court » ?

Je crois que ces trois textes sont des romans courts. On est quand même assez éloigné de la nouvelle, enfin, en tout cas à partir d’Angélus des ogres, cela me semble évident. Je crois que cet éloignement est progressif à la lecture de mes trois textes, à toi de me dire ce que tu en penses ! Mais si je m’écoutais, je te dirais que Monstrueuse féerie était un one man show raté transformé en roman court, Angélus des ogres un roman court et Clapotille un opéra déguisé en roman court !

Fantastique psy, fantasy déjantée, fantasmagorie gore, fantasmes animés… un critique peinerait à ranger cette trilogie selon ses critères habituels. Et toi, qu’en dis-tu ?

Pour moi, ce sont des romans courts pataphysiques contemporains. Vian ou Ionesco se serviraient du fantastique contemporain comme point d’appui s’ils devaient écrire aujourd’hui. Et de la dérive de la psychiatrie également, j’en suis convaincu. J’ai envie de dire une dernière chose à ce sujet : cette dérive de la psychiatrie est grave, parce qu’il ne s’agit plus de soigner des gens, mais d’inventer des théories conformes à l’homme efficace que l’on veut créer pour demain. On retrouve ça à l’école aussi, d’ailleurs, à travers les brassées de formulaires inventoriant les compétences acquises par les enfants avec lesquels on noie les enseignants. Les lieux de soins et d’éducation sont devenus les lieux où s’exercent pleinement les fantasmes politiques et sociaux !

Je suppose qu’après avoir bouclé cette trilogie de romans courts, te voilà fin prêt à te lancer dans l’écriture d’un roman, magnum opus de tout écrivain qui se respecte ?

Oh, j’ai plein de projets, mais je ne suis pas absolument certain de celui que je vais commencer prochainement. J’ai des idées de thrillers, de recueils de poésie, d’un texte qui aurait l’apparence de ma trilogie mais dont l’objet serait davantage tourné vers la critique sociale satirique que vers l’introspection, d’un pamphlet plus ou moins délirant sur le fonctionnement des EHPAD, et d’autres choses encore. Peut-être qu’il y aura un roman au sens traditionnel du terme dans tout ça, peut-être pas. C’est difficile pour moi d’avoir des objectifs en terme de longueur, et même d’intrigue, le plus souvent, parce que je suis incapable de me conformer à un scénario, un schéma narratif ou je ne sais quoi. Je ne peux pas écrire quatre lignes tant qu’il n’y a pas des voix qui chantent ce que j’écris dans ma tête et me certifient par leur chant que ce que j’écris est authentique, ressenti, et pas du chiqué tombé là juste parce que je voudrais écrire un autre livre.

Un dernier mot ?

Tu es sûr ? Je crois que j’ai déjà été trop bavard ! Juste une chose, alors : j’ai écrit  Monstrueuse féerie dans la solitude ; j’ai écrit Angélus des ogres en vivant une histoire d’amour gaie alors que ce texte me servait à faire l’inventaire d’une histoire précédente plus triste et compliquée ; mais sans mon éditeur, Lionel Évrard, qui croyait en moi, je ne sais serais jamais parvenu à écrire Clapotille, et je pense que c’est mon meilleur texte…

 

8,50

octobre 2021
Collection : LA TANGENTE

ISBN : 978-2-490426-10-2

Format 10 x 20 cm à la française (vertical)
102 pages en N&B + couverture couleurs avec rabats,
impression numérique professionnelle

Roman court (littérature contemporaine) de Laurent Pépin
Illustration de couverture : Kawanabe Kyōsai
Design graphique (couverture) : Jef Benech’

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