« Tout sauf la routine et en avant l’azerty… » interview de Bruno Pochesci

Depuis ses débuts pas si lointains, l’homme a beaucoup écrit (ce que d’aucuns n’ont d’ailleurs pas manqué de lui reprocher). Alors que vient de paraître chez Flatland son premier recueil de nouvelles SF, ‘L’espace, le temps et au-delà’, pendant du recueil fantastique ‘L’amour, la mort et le reste’ paru l’année dernière chez Malpertuis, il m’a semblé intéressant de le faire parler. Bruno Pochesci répond en toute liberté à mes questions et parfois même il se livre. Le bonhomme est à l’image de sa prose : débridé, généreux, iconoclaste et terriblement humain. Est-ce vraiment si surprenant ? (L.D.)

 

Des nouvelles ? Un recueil tout entier, qui plus est ! C’est le suicide commercial assuré… Qu’est-ce qui te pousse à en écrire autant (une soixantaine à ce jour) alors que dans ce pays seul le roman (de préférence en interminables séries de gros tomes replets) se vend ?

Me gardant bien d’évoquer de grands idéaux anarchistes, dans la mesure où j’ai beaucoup trop de respect pour cette idéologie et d’incohérences personnelles à mon actif pour avoir le culot de m’en réclamer, je me contenterai d’affirmer que le fait d’avoir la chance de ne souffrir d’aucune contingence économique me permet d’écrire ce qui me plaît, lorsque je l’entends, et avec un maximum de liberté, tout en restant fidèle à ce qui désormais semble être devenu ma petite marque de fabrique en milieu SFFF : escrivaillon bilingue franco-rital, venu de la musique et ne se prenant pas trop au sérieux (tout en essayant de parler de choses sérieuses). Sans oublier, bien sûr, certaines belles rencontres avec des éditeurs tout aussi commercialement suicidaires, un peu dans ton genre.

On te reproche souvent d’en faire trop, tant en quantité de signes produits annuellement qu’en terme d’effets stylistiques ou de narration. « On » est un con, c’est bien connu, et « on » gagne toujours à ne pas répondre aux cons, mais par curiosité personnelle, que répondrais-tu néanmoins à ces récurrents reproches ?

Que répondre au juste, à ceux qui sachent comment écrire, comment doser et sur la base de quels académismes ? Outre le fait que tous ces bons conseillers sont souvent infoutus de formuler leurs brillantes réserves sans se fendre d’un festival de coquilles à faire passer un premier jet de Jul pour la dictée de Mérimée, je ne vois tout simplement pas où ils veulent en venir. Sous mes dehors clownesques, j’ai toujours mis un point d’honneur à soigner tant le fond que la forme, et ce dans le moindre de mes textes. S’ils n’y sont pas sensibles, ce qui est leur droit le plus strict, je ne peux que les inviter à se passer de ma prose qui semble tant les défriser. En général, ils ont tous un tel nombre de tsundokus à résorber que je ne vois vraiment pas pourquoi ils devraient s’acharner à colporter leur bonne parole à un cas aussi désespéré (et désespérant) que le mien.

La porte des éléphants, une de tes dernières nouvelles parues (dans l’anthologie SOS Terre et Mer, vendue chez les Moutons électriques au profit de SOS Méditerranée) semble amorcer un tournant dans ta carrière. Alors que l’image d’un auteur porté sur la déconnade, le tragi-comique (voire la gaudriole) te colle à la peau, voilà que tu te mêles aussi de nous émouvoir et de nous faire pleurer. Un changement de cap en perspective ?

Il n’y a jamais eu de cap, mon capitaine, si ce n’est celui d’essayer de toujours faire mieux, ou à tout le moins de maintenir le niveau. Comment écrire (ou jouer d’un instrument), sans émotion ? Concernant la fiction, c’est sous un vernis grotesque et truculent – que je pense avoir emprunté à la noirceur des comédies italiennes des années 60-70 – que je tente le plus souvent de transcender mes émotions et tout ce qui en général me bouleverse dans la vie. Dans mes récits, par-delà des synopsis improbables, voire loufoques, il n’est pas rare qu’il soit question de droits bafoués, d’injustices patentes et autres séparations forcées, le tout baignant dans un sentiment d’impuissance diffus, mais jamais dans la résignation ou, pis que tout, l’auto-commisération. C’est là une forme de pudeur, n’en déplaise à toutes celles et tous ceux qui ne font que pointer du doigt les lunes qui émaillent mes scènes d’amour explicite (qui ne sont pourtant jamais gratuites, j’insiste bien là-dessus), ou encore de prétendus stéréotypes. Il y a sans doute bien des maladresses et autant d’omissions, dans la façon que j’ai de livrer ma perception de la condition humaine. Mais jamais d’insincérité, et c’est bien là l’essentiel à mes yeux. Donc, pour répondre enfin à ta question, non, je n’ai pas l’intention de faire pleurer plus que de raison dans les chaumières. Pas par calcul, en tout cas. La porte des éléphants, puisque tu en fais exemple, a « bénéficié » à la fois d’un moment particulièrement douloureux de mon existence, et des ignobles agissements de M. Matteo Salvini (grand humaniste s’il en est) en matière de politique migratoire. J’étais donc très « ému » à cet instant T, pour moult raisons. D’où le probable supplément d’âme qui en ressort.

Tout ça c’est bien beau, mais quels sont tes projets littéraires ? Un bon gros roman de derrière les fagots à sortir bientôt ? D’autres nouvelles encore ?

Des nouvelles, j’en ai d’ores et déjà une dizaine de prises, à paraître courant 2020, dont une qui pour le coup marque un réel changement de cap, puisqu’il s’agit de mon tout premier récit rédigé en italien. Il y aura aussi un deuxième recueil de nouvelles fantastiques, chez tes excellents collègues des Éditions Malpertuis, ainsi qu’un projet rédigé à six mains (dont je ne puis encore dévoiler teneur et auteurs) auquel je contribuerai avec une novella mettant en scène le monstre par excellence. Si tu veux un indice, cherche l’intrus dans cette liste : zombie, vampire, momie, Hitler, goule… Un deuxième indice ? Il portait une petite moustache en brosse à dents… Voilà, c’est bien lui ! Et pour ce qui est des romans, j’ai une vieille arlésienne en suspens, à laquelle je compte enfin régler son compte dans les meilleurs délais : Le prisonnier du parc de Choisy.

Et en musique, puisque musicien tu es également ?

Un agenda bien rempli, là aussi, puisque je joue actuellement de la basse au sein de trois groupes. Avec Martine on the Rocks, combo de reprises à géométrie variable (électrique et acoustique) faisant le grand écart entre Beatles et Muse, nous avons d’ores et déjà plein de concerts de prévus sur Paris et alentours. Et puis il y a le power trio Luna Park, qui dispose désormais d’une vingtaine de compositions (dont une version bien tendue de La gare de Perpignan, publiée en version écrite chez qui tu sais…) et devrait faire sous peu ses débuts scéniques. Enfin, je sévis depuis un mois au sein d’un combo de jazz-funk (les Funk me hard… c’est pas moi qui ai trouvé ce nom, je tiens à le préciser pour ne pas aggraver ma réputation – pourtant ô combien usurpée – de polisson de l’imaginaire), qui a le grand mérite de me sortir un peu de ma zone de confort pop-rock pour me faire découvrir les joies non négligeables du bœuf tapé avec de vrais cuivres. Et pour être tout à fait exhaustif, le milieu SFFF ne sera pas en reste, puisqu’il est fort à parier que les Deep Ones et ses lecteurs musicaux d’une part, et les Bons à Tirer et ses zicos biberonnés aux mauvais genres de l’autre, auront l’occasion de livrer çà et là quelques performances. Last but not least, le sixième CD de chansons de Jean-Pierre Andrevon est en phase d’arrangements – avec mon arsenal habituel : basse, guitare classique, acoustique et ukulélé – et devrait se matérialiser d’ici le printemps prochain.

Maintenant que tu es un vieux de la vieille, un auteur consacré et multi-primé, que conseillerais-tu à un petit nouveau ou à une petite nouvelle qui se lance pour ne pas se décourager ?

Moi, un vieux de la vieille ? Il est vrai que 2013, ça commence effectivement à dater… Le souci, ou plutôt la chance, c’est que je me sens toujours aussi maladroit et enthousiaste qu’à mes débuts. Conscient d’avoir peut-être quelques moyens, mais bien incapable d’en définir l’origine et le potentiel. Ni imposteur, ni sénateur, si j’osais une formule. L’écriture est un bien bel accident dans mon existence, et je souhaite continuer à la vivre comme tel. Tout sauf la routine et en avant l’azerty, tant que ça dure ! Et si j’avais vraiment un conseil à donner à celles et à ceux qui démarrent, ce serait peut-être celui de ne pas se prendre le chou, et encore moins de se le laisser prendre par les ceusses ou ceussesses qui prétendent sachoir, ou qui aimeraient sacher à la place du pacha. De toute manière, si tu fais de la daube et que t’es assez honnête intellectuellement pour l’admettre, tu finiras vite par en prendre acte et passeras à autre chose. Il y a mille et mille choses tout aussi intéressantes à faire, sur cette terre, avant de s’en retourner à la case néant. Et puis j’oubliais, tout de même et digressions à part : lire. Lire beaucoup. À s’en claquer les rétines ! Parcourir des milliers de kilomètres, une ligne après l’autre. Un plaisir qui perso ne trouve son égal que dans celui que je prends avec mon manche. À quatre ou six cordes, vous m’aviez bien compris.

Un mot de la fin ?

Un grand merci pour ta confiance et… achetez L’espace, le temps et au-delà, crénom !

Merci.

 

On commande L’espace, le temps et au-delà en suivant ce lien et L’amour, la mort et le reste en suivant celui-ci.

 

Photo : Tepthida Hay. Propos recueillis par Leo Dhayer.

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