The romance of Golden Star, George Griffith (1897)

Lire un roman de Griffith est toujours (en ce qui me concerne) une aventure presque aussi épique que celles narrées par cet auteur hors norme dans des pages que l’on ne peut s’empêcher d’avaler gloutonnement. Cela ne signifie pas pour autant que leur lecture soit de tout repos ou globalement satisfaisante. Si la plupart du temps on se laisse emporter par l’habileté de la narration et le « sense of wonder », il n’est pas rare qu’on se dise aussi au détour d’un rebondissement ou d’une révélation : « Non ! Il ne va pas tout de même pas oser ? Pas lui ! Pas ça ! » Eh bien si, il ose, Georgie, c’est même ce qui le caractérise le mieux : sa prose n’obéit qu’à ses propres lois et ses personnages souvent archétypaux, hommes ou femmes, sont taillés dans l’étoffe dont on fait les héros et les saintes. Tout est chez lui « bigger than life » et ce roman d’aventures au pays des Incas n’échappe pas à la règle, avec quelques particularités qui le distinguent de l’habituelle histoire de momie à bandelettes et permettent de le ranger plutôt sur l’étagère « lost race ».

 

L’étude de Sam Moskowitz intitulée The warrior of if (parue en préface du recueil The raid of ‘Le Vengeur’, chez Ferret Fantasy Ltd en 1974) reste à ma connaissance une somme inégalée sur la vie et l’œuvre de George Griffith. On y apprend toujours de très intéressants détails, et à propos de Golden star, on peut y lire que l’écriture de ce roman fut entamée durant le trajet de retour en steamer du voyage qui avait amené l’auteur au Pérou pour une série d’articles sur les révolutions sud-américaines. Pearson, son éditeur, cherchait alors à augmenter la diffusion d’une nouvelle revue, l’hebdomadaire à bon marché Short Stories. Ayant diminué le format et doublé la pagination sans augmenter le prix, il cherchait à populariser cette nouvelle formule grâce à deux serials d’importance : Golden star, dont la publication commença avec le numéro du 7 septembre 1895, et The queen of the night, par Headon Hill, avec le numéro du 17 octobre.

Moskowitz rapporte également une anecdote révélatrice des mœurs éditoriales de l’époque. « Pour des raisons qui n’ont pas encore fait surface, Pearson cessa de publier les livres de Griffith [pour un temps du moins, d’autres ouvrages de l’auteur figureront ponctuellement à son catalogue]. Peut-être les ventes de Valdar the oft-born [1895] s’étaient-elles révélées décevantes  en comparaison du succès retentissant de The angel of the revolution [1893] et de Olga Romanoff [1894]. De manière ironique, ce fut William Le Queux, que Griffith avait mal conseillé en lui recommandant de se faire éditer chez Tower [premier éditeur de Georgie, dont la faillite avait eu de fâcheuses conséquences pour eux deux] qui lui fit en échange une grande faveur. Lors d’un dîner chez Peter Keary, éditeur du Pearson’s Weekly, Le Queux présenta Griffith à F.T. White, qui éditait ses propres ouvrages et avec qui il entretenait d’excellentes relations commerciales. White put dès lors éditer la majorité des œuvres de Griffith jusqu’à sa mort, à commencer par Briton or Boer en février 1897, bientôt suivi de Golden Star, sous le titre The Romance of Golden Star en juin de cette même année. »

Les raisons obscures mentionnées par Sam Moskowitz se laissent cependant aisément deviner. Pearson n’était ni un mécène ni un philanthrope et ne menait une politique d’auteurs que tant que celle-ci continuait à remplir ses caisses. À l’époque où il cesse d’éditer les romans de Griffith, il s’est découvert d’autres poules aux œufs d’or et a déjà commencé à ne plus utiliser l’auteur de The angel of the revolution que pour ses talents de journaliste et de globe-trotter. Parmi celles-ci figurait l’étoile montante, H.G. Wells, dont la publication en serial de The war of the worlds, illustrée par Warwick Goble démarre dans le Pearson’s Magazine d’avril 1897. A genius for a year (1896), la nouvelle qui figurera au sommaire du premier numéro du Novelliste, porte en creux la perception désabusée de cette éclipse de Griffith à la faveur de l’ascension éditoriale de Wells, et je reviendrai dans ce numéro sur ce que l’on peut dire des rapports qu’entretenaient (ou non) ces deux écrivains. Pour conclure cette incise, il faut noter que Griffith, pas rancunier, poursuivra néanmoins épisodiquement sa collaboration avec Pearson. Pourquoi les éditeurs seraient-ils les seuls à pouvoir faire preuve de réalisme économique ?

C’est à une fausse histoire de momie que nous avons affaire avec The romance of Golden Star. Ramenée du Pérou par un professeur anglais, la dépouille mortelle, bien que dans un état de conservation plus que remarquable, s’avère en fait n’avoir jamais été vidée de ses organes ni momifiée. Le corps est même en si bonne condition qu’un ami du professeur, le Dr Djama, physiologiste flirtant dangereusement avec les arts magiques, propose à celui-ci de tenter de la rendre à la vie. Curiosité scientifique aidant, le respectable savant ne se fera pas prier longtemps, et bien évidemment le réanimateur parviendra à ses fins, sans quoi la suite du roman n’aurait pu exister. Car c’est à la première personne, par la bouche du ressuscité lui-même, que se poursuivra ce récit, et c’est ce qui fait son principal attrait. Hibernatus avant l’heure, Vilcaroya a traversé les siècles dans un état d’animation suspendue, la « magie » des prêtres incas (nous n’en saurons pas plus, et pas davantage sur les techniques mises en œuvre pour le rendre à la vie) faisant office de cryogénisation. Golden Star, dont le nom donne son titre au roman même s’il s’agit d’un personnage assez secondaire, est la sœur de Vilcaroya, qu’il a épousée juste avant que les prêtres ne les plongent dans un sommeil de trois cent soixante années. Ayant anticipé la destruction de l’empire inca par le conquérant espagnol, ils espéraient ainsi préserver les secrets de leur civilisation et dans un futur indéterminé pouvoir restaurer sa grandeur.

La suite de l’histoire, Moskowitz la raconte suffisamment bien pour que je n’aie pas à chercher en vain à faire mieux. « Vilcaroya retourne au Pérou avec les deux scientifiques et Ruth, la sœur du Dr Djama. Après avoir recruté une vingtaine d’autochtones qui sont restés de purs et loyaux Incas, il retrouve la cache dans laquelle l’attend un fabuleux trésor. Ce pactole permettra à l’expédition de récupérer le corps de Golden Star, qui pourrait être, à l’exception de la couleur des cheveux et des yeux, une sœur jumelle de Ruth. Djama, qui tombe sous son charme, n’accepte de la réanimer qu’à condition que Vilcaroya veuille bien la lui donner pour épouse. Vilcaroya est d’accord si Djama l’autorise à épouser Ruth en échange. Celle-ci fera honte aux deux hommes pour s’être livrés à ce maquignonnage auquel ils renoncent. Golden Star est ramenée à la vie de manière inconditionnelle. » C’est également Ruth, la sœur de Djama, qui par sa réaction scandalisée fera prendre conscience à Vilcaroya que l’inceste n’est plus de mise dans le monde qu’il découvre. Il lui sera d’autant plus facile de renoncer à sa sœur que le deus ex machina qui tient la plume met à sa disposition une remplaçante toute trouvée jusque dans l’apparence physique… « Saisi par la fièvre de l’or, Djama tente de trahir Vilcaroya et de le faire arrêter. Le complot déjoué, celui-ci le fait emprisonner dans un cachot aux murs constitués de lingots d’or. Après avoir conquis la ville et la province de Cuzco, Vilcaroya épouse Ruth et se proclame nouvel empereur inca. Il est prêt à pardonner à Djama mais celui-ci, qui ne s’est pas amendé, se rend coupable d’une nouvelle vilainie et met fin à ses jours par la seule force de sa volonté. » Aidé en cela par Francis Hartness, un mercenaire anglais acquis à sa cause et qui finira par épouser Golden Star après avoir convoité Ruth, Vilcaroya achève la conquête du Pérou et unit sous sa bannière arc-en-ciel les peuples d’Amérique du Sud.

Moskowitz conclut son propos en affirmant qu’il ne s’agit pas là du meilleur effort de l’auteur, arguant du fait qu’il manque l’occasion d’en faire un autre récit de guerre future en résumant sur un demi-chapitre la reconquête du Pérou, et notant une similarité d’inspiration avec Heart of the world de H. Rider Haggard paru un peu plus tôt (1895). Je ne suis sur ce point pas tout à fait d’accord avec lui. Si The romance of Golden Star n’a pas l’ampleur des grandes œuvres de Griffith ‒ à peine 400 000 signes, c’est presque une novella, pour lui… ‒, ce n’en est pas moins un page-turner dans lequel se manifestent ses qualités habituelles de conteur. Sa brièveté relative permet également que s’y retrouvent presque cristallisées, condensées jusqu’à l’épure, ses thèmes et obsessions coutumières, ce qui ne peut qu’intéresser l’afficionado de Griffith que je suis.

Particulièrement intéressant à cet égard est le parti-pris de l’auteur de faire de son héros un autochtone narrant de son point de vue la situation de sujétion et d’abaissement subie par son peuple du fait de la colonisation. Le fait colonial est une donnée que l’on ne peut ignorer lorsqu’on se penche sur les littératures populaires fin xixe – début du xxe siècle, et pas uniquement dans l’empire de sa gracieuse majesté sur lequel le soleil ne se couchait jamais ­‒ les amateurs de nos vieux Tallandier bien français en savent quelque chose. Griffith n’y a pas échappé plus que d’autres, lui qui fut le chantre lyrique (notamment au travers du dyptique Ange de la révolution / Olga Romanoff) d’un ‘Anglosaxondom’ triomphant à la mission civilisatrice universelle et d’une supériorité en tout de la « race anglo-saxonne ». Il peut donc sembler paradoxal de le voir ici prendre fait et cause pour ces vaincus que furent les Incas et pour les colonisés que devinrent leurs descendants, mais le paradoxe n’est qu’apparent. Le méchant colonisateur cruel et avide est ici espagnol, traditionnel ennemi des Anglais durant les guerres de coalition du début du xixe siècle, ce qui change tout. Qui plus est, au travers du mercenaire anglais beau, courageux, juste et loyal à qui revient le mérite de la victoire (et qui s’en verra récompensé en épousant une belle princesse inca), le triomphe de Vilcaroya est aussi anglais par procuration et l’honneur de la « race anglo-saxonne » est sauf.

Mais la légitimité de Vilcaroya aux yeux de Griffith est également d’un autre ordre. Pour lui, son droit légitime à restaurer l’empire inca découle d’une prédestination divine émanant de ce « All-Father » qu’adorent tous les peuples, que ceux-ci se prosternent devant le soleil ou au pied d’un sévère barbu. J’aime beaucoup Georgie, mais ce serait mentir d’affirmer qu’il croyait aux vertus de la démocratie et aux mérites des révolutions populaires. C’est très net dans le dyptique de « L’empire de l’Air » évoqué ci-dessus, dans lequel une révolution mondiale censément d’inspiration « nihiliste » accouche de l’avènement d’une dynastie héréditaire de hiérarques n’ayant rien à envier aux monarques de droit divin. C’est aussi ce que laisse entendre Moskowitz lorsqu’il évoque la série d’articles qui avait amené Griffith au Pérou : « Il ne retient pas ses coups. Ayant débarqué en Amérique du Sud alors qu’une série de révolutions était en cours, il était convaincu que toutes les révoltes ont pour motivation le désir de s’arroger le droit de voler son semblable. Les vainqueurs deviennent les nouveaux oppresseurs ‒ jusqu’à la révolution suivante. Les gens du peuple, observait-il, ne manquaient pas de courage mais se révélaient de stupides moutons une fois la ‘victoire’ acquise. » En somme, le salut d’un peuple aussi bas de plafond ne peut passer que par un autocrate éclairé, juste et droit, qui utilisera l’or de ses aïeux pour assurer sa prospérité et son bonheur. C’est exactement ainsi que se conclue Golden Star, mais l’on pardonne beaucoup aux conteurs doués, comme à ces vieux oncles à marottes dont on se farcit les lubies parce qu’au pousse-café ils ont tant d’histoires fascinantes à raconter…

Car l’essentiel de la valeur que l’on peut reconnaître de nos jours encore aux écrits de Griffith tient dans son engagement de chaque ligne à respecter le contrat qui le lie au lecteur. Son intrigue, ses personnages, ses péripéties, ses décors, il y croit dur comme fer et met toute son énergie à les défendre et nous les faire partager. Ainsi trouve-t-on dans ce roman d’aventures au pays des Incas tout ce que l’on est en droit d’y trouver : temples souterrains, fabuleux trésors et montagnes d’or, chambres secrètes dissimulées par d’astucieux mécanismes, foules agenouillées en adoration, batailles épiques et cérémonies grandioses, méchants et gentils plus vrais que nature, courageux aventuriers sincères et francs, princesses droites et nobles au cœur pur. Tout ce qui fait que la dernière page tournée, on s’étonne de n’avoir pas vu le temps passer, avec un pincement au cœur qu’il n’y en ait pas un peu plus, mais aussi avec la certitude ‒ un tantinet honteuse ‒ de s’être une fois de plus laissé avoir.

 

Pour ceux qui lisent l’anglais, The romance of Golden Star est disponible en téléchargement libre et gratuit ici. Les autres devront se contenter de cette chronique… Comme pris de remords, Griffith reviendra l’année suivante sur le sujet de la colonisation espagnole du Pérou dans The virgin of the sun (1898) roman plus ambitieux ayant la réputation d’être mieux écrit et plus conforme à la vérité historique. Enfin, The mummy and miss Nitocris (1906, téléchargeable ici) reprendra le sujet de la momie, à bandelettes et égyptienne cette fois, mais sous l’angle de la quatrième dimension.

Pour terminer, je vous recommande chaudement l’édition prochaine (décembre 2018), dans la collection Baskerville, de Valdar aux sept vies, traduction française due à Jean-Daniel Brèque de Valdar the oft-born (1895). Il s’agit rien moins que d’un événement, puisque ce sera la première occasion fournie au lectorat français de goûter aux charmes d’un roman de George Griffith ‒ et je peux vous garantir que celui-ci vaut le détour. C’est ici que l’on se renseigne et commande.

4 commentaires sur “The romance of Golden Star, George Griffith (1897)

  1. Ton article sur Griffith est intéressant et, évidemment, bien écrit, c’est toujours agréable de te lire. En fait, tu me communiques très aisément le plaisir de tes lectures et découvertes, et je m’intéresse grâce à l’éclairage que tu apportes.

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