J’ai dû rendre visite deux ou trois fois à Paul Bérato (1915-1989), dans sa grande maison de Castelmoron-sur-Lot entourée d’un parc à l’abandon, alors qu’apprenti charpentier fraîchement arrivé dans la région j’entrais en contact par le biais de Michel Jeury avec les auteurs de SF du coin. Après une prise de contact épistolaire, je m’étais rendu chez lui en vélo et il m’avait accueilli à bras ouverts, moi qu’il connaissait à peine. Il vivait là avec sa mère (et si lui n’était plus tout jeune, elle l’était bien moins encore), petit bout de femme tordu par la vie mais qui continuait à s’activer à petits pas dans la grande bâtisse en phase de décrépitude avancée, dehors comme dedans. C’était chez eux un véritable capharnaüm où s’amoncelaient en strates quasi-géologiques les souvenirs de toute une vie. La situation était pire encore et l’on risquait à tout moment l’ensevelissement dans la grande pièce jouxtant la cuisine dont Paul avait fait son bureau.
C’est dans cet antre regorgeant d’archives et de souvenirs qu’il écrivait encore ses derniers livres de SF pour le Fleuve (Ceux d’ailleurs, La horde infâme, Changez de bocal) sans savoir combien il pourrait en écrire encore mais sans se faire d’illusions sur le sujet. A moi qui me risquais tout juste à quelques essais balbutiants, il prodiguait de fort utiles conseils et d’encore plus nécessaires encouragements. Ce n’était pas sa stature d’auteur reconnu – et presque de légende vivante dans le milieu – qui m’impressionnait, car c’était un homme tellement simple, accessible et bon enfant que c’était impossible. Ce qui me la bâillait belle, c’est qu’il ait pu prendre le temps de lire ma prose de débutant et d’en discuter si longuement avec moi. J’avais reçu le même accueil chez Jeury, d’ailleurs, et bénéficié de la même oreille attentive. Ce n’était donc pas un hasard si ces deux-là étaient copains comme cochons, bien qu’écrivant des livres fort différents.
J’ai continué à correspondre de loin en loin avec Paul Bérato, puis j’ai quitté la région, fait ma vie ailleurs, et les contacts, comme c’est souvent le cas, se sont espacés. Je n’ai appris sa mort en 89 que bien plus tard. Et aujourd’hui, c’est en découvrant par hasard une coupure de presse sur le net que les souvenirs affluent. Le Petit Bleu du Lot et Garonne… Con de Dieu ! La jolie madeleine que voilà… La ville de Tonneins, dont il était originaire, a eu la bonne idée en 2005 de donner son nom à l’une de ses rues. A cette occasion, le journaliste évoque la mémoire de Paul Bérato avec intelligence et sensibilité (un amateur de SF ?), citant même des extraits de lettres dans lesquels je retrouve tout à fait le vieil homme un peu bourru que j’ai connu.
Je n’ai pas à me plaindre. Seul auteur français jusqu’à présent dans la collection Le Masque SF et dans la collection Marabout Poche 2000, le Fleuve Noir m’assomme de demandes de manuscrits SF. Je me marre ! Il paraît que je renouvelle la SF française car jusqu’à présent elle était froide, glacée, intellectuelle et que je lui donne une dimension humaine. Je ne l’ai pas fait exprès !
Oui, il était bien comme ça, et sans affectation. N’écrivait-il pas d’ailleurs également : « Je ne suis pas allé au séminaire de la SF à Angoulême. J’ai remercié poliment. Il s’agit de choses qui ne m’intéressent guère : conférences sur les origines, l’avenir de la science-fiction, analyse de l’œuvre de certains auteurs… américains, films fantastiques, discussions sur l’orientation politique d’une possible association d’auteurs. Comme mon quotient intellectuel ne me permet de prendre plaisir qu’à Laurel et Hardy et Cie (c’est vrai), j’ai décliné cette invitation. »
En marge et populaire, dans le bon sens de ces deux termes, tel était bien Paul Bérato. Il faudrait ajouter : discret, attentif, charmant, entier… et sans doute bien d’autres choses encore. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Des dizaines de titres, éparpillés dans toutes les collections possibles et imaginables de toutes les époques, dans tous les registres trouvables au rayon populaire : livres jeunesse, espionnage, romans historiques, sentimentaux, policiers, quelques titres en SF et fantastique qui mériteraient de ne pas rester cantonnés aux réserves des collectionneurs (la série Leonox et celle de Robi le robot, au Fleuve)… tant d’autres encore, sous quantité de pseudonymes.
Les plus curieux pourront se faire une idée plus complète du bonhomme en suivant les liens ci-dessous. Les Moutons électriques ont également réédité récemment deux de ses titres en un livre numérique. Quant à la photo, aimablement fournie par le camarade André-François Ruaud, prise dans le château périgourdin dont Jeury (à droite sur la photo) fut un temps le gardien et où Paul Bérato (à gauche) lui rendit un jour visite, elle témoigne de l’amitié et de la complicité qui unissait ces deux hommes rares et généreux.
http://www.ladepeche.fr/article/2011/08/09/1143301-paul-berato-tonneins-1915-castelmoron-1989.html
Illustration : Photographie Michel Douvres, collection A.F. Ruaud (merci).
bel article, beaux souvenirs de deux amis partis ailleurs.