Nécrologie de George Griffith, « dernier Anglais tombé à Azincourt »

Après avoir évoqué dans un précédent billet d’agit’prop le début de la carrière de George Griffith et sa vocation de globe-trotter, penchons-nous ici sur sa toute fin de vie que sa nécrologie, parue dans les colonnes du London Illustrated News, ne fait que résumer à gros traits.

 

De nos jours, on appellerait cela un entrefilet – illustré par un portrait en médaillon, certes, ce qui nous permet de découvrir à quoi ressemblait l’auteur sur la fin de sa vie, mais un entrefilet tout de même. L’étoile de George Griffith avait il est vrai beaucoup perdu de son lustre lorsqu’il mourut prématurément, le 4 juin 1906, à l’âge de 48 ans. Et ce qui frappe davantage encore, à la lecture de cette nécrologie, c’est que la carrière littéraire de l’auteur n’est qu’à peine évoquée, le pigiste assoupi préférant concentrer ses efforts sur de plus coruscants faits d’armes : les exploits de globe-trotter du défunt . Le tout noyé dans le flot des « nouvelles du monde » (les funérailles de Henrik Ibsen, les avis de décès de deux autres sommités, dont un leader nationaliste irlandais, une rébellion au Natal, une enquête au Transvaal, et l’hommage national aux victimes d’un attentat à Madrid).

Voici donc en quels termes le London Illustrated News « rendit hommage » à George Griffith dans son édition du 9 juin 1906 :

George Chetwynd Griffith, auteur de L’ange de la révolution et de tant d’autres romans à sensation, est mort ce 4 juin à Port Erin. Sa biographie publiée dans un ouvrage de référence bien connu prétend qu’il eut l’avantage de ne bénéficier que d’une instruction initiale négligée, et qu’il put faire lui-même son éducation en voyageant de par le monde. Ainsi est-il devenu successivement mousse sur un bateau, vagabond, cow-boy, boucher, globe-trotter, journaliste, maître d’école, et enfin écrivain. De son propre aveu, ses loisirs favoris l’amenaient à marcher, à voyager et à faire de la voile. Il avait effectué six tours et demi du globe. Ayant traversé trois fois les Andes, il chérissait une pipe qu’il avait fumée à 19 300 pieds au-dessus du niveau de la mer. Il avait passé trois fois le Cap Horn et découvert les sources du fleuve Amazone. En ballon ascentionnel, il avait effectué la traversée de Londres au champ de bataille d’Azincourt et avait coutume de dire qu’il était le dernier Anglais à y être tombé.

Pour solde de tout compte, et en route pour l’oubli, Georgie… Sic transit gloria mundi.

Ce que ne dit pas l’auteur de cette notice, il faut attendre pour l’apprendre la belle année 1974, et un article de Sam Moskovitz publié dans le recueil de nouvelles The Raid of Le Vengeur, qui reste aujourd’hui encore la source d’informations la plus complète et la plus fiable à propos de George Griffith : « Après 1904, les droits d’auteur générés par les livres de Griffith commencèrent à décliner, de même que sa santé. Il se mit à la recherche d’un endroit où faire vivre sa famille qui lui permettrait de faire durer plus longtemps chacune de ses livres. Ainsi choisit-il de déménager à Port Erin, dans l’île de Man. Il gardait pratiquement constamment le lit lorsque parut chez F.V. White, en mai 1906, son roman The Great Weather Syndicate. »

La dernière histoire qu’il écrivit fut The Lord of Labour, qui demeura sous forme de manuscrit jusqu’à ce que White décide de l’éditer en 1911. Dans un avant-propos au roman, l’éditeur donne quelques informations qui éclairent d’une lueur particulière les derniers jours de l’auteur : « Aussi étrange que cela puisse paraître, cette histoire si fortement engagée fut dictée par son auteur sur son lit de mort. Il restait constamment alité – telle une ‘épave gorgée d’eau’, ainsi qu’il se décrivait lui-même avec dérision – et travaillait avec un tel acharnement, en dépit des ordres de son médecin et des suppliques de sa famille, qu’il parvint à mener ce roman à son terme. Sa voix impérieuse résonnait dans toute la maison lorsqu’il s’échauffait avec son sujet, étonnant tous ceux qui connaissaient son extrême état de faiblesse. À l’exception de la correction de quelques coquilles, aucun changement n’a été apporté au manuscrit édité ici et que l’on peut considérer comme le ‘chant du cygne’ de George Griffith. »

À vrai dire, cette manière de dicter ses romans plutôt que de les écrire n’était en rien imposée par des impératifs liés à son état de santé. C’était une habitude qu’il avait prise dès ses débuts, au Pearson’s Magazine, lorsqu’il lui fallait sortir dans un délai très court chacune des livraisons de ce qui allait devenir les deux volumes du dyptique L’empire de l’air qui le rendit immensément célèbre. M. le pigiste du London Illustrated News, il est tout de même un peu dommage que cet aspect du personnage vous ait échappé, car en plus d’être un aventurier et un explorateur, Griffith fut au cours de sa fulgurante carrière un travailleur acharné, sans doute autant par nature que sous l’aiguillon de la nécessité. Qu’on en juge : en mettant de côté ses deux premiers recueils de poèmes publiés sous le pseudonyme de ‘Lara’, c’est en l’espace d’une quinzaine d’année 43 livres que George Griffith écrira, tous genres confondus, en plus de ses activités de journaliste et de globe-trotter, soit environ trois livres par an.

Arrivé à ce point de votre lecture (si je ne vous ai pas perdu en chemin), vous devez forcément vous demander ce qui a pu conduire à une mort prématurée un tel homme. Ne cherchez pas : un penchant immodéré pour la bouteille n’avait rien que de très commun, déjà à l’époque. Ce n’est pas manquer de respect à sa mémoire – Griffith avouait lui-même un goût très prononcé pour les ‘spiritueux’ – et cela transpire de nombre de ses derniers livres, et notamment d’une scène de délire alcoolique particulièrement saisissante de The missionary, roman anticlérical. Moskowitz, comme en tout parfaitement informé, confirme l’hypothèse de manière irréfutable. « La cause de sa mort, certifiée par James Harold Bailey MB, de l’université de Victoria, est une cirrhose du foie. Certes, la malaria, dont Griffith avait souffert à Hong-Kong, peut plonger le malade dans une condition similaire à celle que provoque la cirrhose du foie, de même que l’hépatite. Cependant, les propos rapportés de Griffith affirmant qu’il gisait tel ‘’une épave gorgée d’eau’’ semblent indiquer que l’abus d’alcool fut la cause première de sa disparition. »

Et pour ne pas rester sur cette note funèbre, qu’on me permette de conclure cette nécrologie rectifiée en citant in extenso la bibliographie du bonhomme. Finalement, n’est-ce pas ce qui importe le plus pour un amoureux des livres et de ceux qui les écrivent ? En eux-mêmes, ces titres mis bout à bout constituent déjà une invitation à l’aventure et au voyage. Santé, Georgie !

The Angel of the Revolution (1893). A Heroine of the Slums (1894). Olga Romanoff (1894). The Outlaws of the Air (1895). Valdar the Oft-Born (1895). Men Who Have Made the Empire (1897). Briton or Boer (1897). The Romance of Golden Star (1897). The Knights of the White Rose (1897). The Gold-Finder (1898). The Destined-Maid (1898). The Virgin of the Sun (1898). The Great Pirate Syndicate (1899). Gambles with Destiny (1899). The Rose of Judah (1899). Knaves of Diamonds (1899). Brothers of the Chain (1900). Thou Shalt Not (1900). A Honeymoon in Space (1901). Denver’s double (1901). The Justice of Revenge (1901). Captain Ishmael (1901). In an Unknown Prison Land (1901). The White Witch of Mayfair (1902). The Missionary (1902). The Lake of Gold (1903). A Woman Against the World (1903). Sidelights on Convict Life (1903). The World Masters (1903). With Chamberlain Through South Africa (1903). The Stolen Submarine (1904). A criminal Croesus (1904). His Better Half (1905). An Island Love Story (1905). A Mayfair Magician (1905). The Mummy and Miss Nitocris (1905). A Conquest of Fortune (1906). His Beautiful Client (1906). The Great Weather syndicate 1906. The World Peril of 1910 (1907). John Brown Buccaneer (1908). The Sacred Skull (1908). The Lord of Labour (1911).

 

Traduction : Leo Dhayer, (CC BY-NC-ND 2.0 FR)

Source : The London Illustrated News, 9 juin 1906, p. 830. The Raid of ‘Le Vengeur’, with a critical biography by Sam Moskowitz and Additional notes and Bibliography by George Locke, Ferret Fantasy 1974. Booksellerworld.com. Illustrations : reproduction de la page du magazine (coll. personnelle L.D.) et ‘Photo Russell’ pour le portrait (domaine public).

 

Précédent billet d’agit’prop consacré à George Griffith.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *