Le tribute musical à un artiste ou une œuvre est un exercice casse-gueule. Dans le pire des cas, on obtient un salmigondis indigeste bien vite sorti des mémoires (je ne citerai donc pas d’exemple) ; dans le meilleur, le tribute parvient à transcender son modèle et à s’ériger au rang d’œuvre à part entière qui marque durablement les esprits – Lost in the stars, the music of Kurt Weill, par exemple, bien que sorti en 1985, continue de tourner sur ma platine.
À la première écoute, il me paraît évident que c’est à la seconde catégorie qu’appartient ce magnifique Escape dans lequel quinze groupes de la scène underground et expérimentale actuelle revisitent et s’approprient les titres de l’album Asylum des Legendary Pink Dots sorti il y a trente ans. Évitant l’écueil de l’hommage respectueux et compassé, c’est avec l’énergie et l’esprit d’aventure dont faisaient preuve sur cet album Edward Ka-Spel et sa bande que chacun d’eux réinvente les morceaux de cette œuvre phare et séminale.
L’expérience est aussi déstabilisante que stimulante et réjouissante. Ces ambiances, ces paroles, ces mélodies qu’on a tant aimées et écoutées qu’elles se sont en quelque sorte fondues en nous, on les reconnaît sans les reconnaître, on les redécouvre et elles provoquent des émotions nouvelles, des rêveries inédites. On glisse d’une plage à l’autre, l’oreille aux aguets et l’esprit en tumulte – avec l’impression d’être passé dans une réalité alternative –, mais bien vite l’unité d’ensemble de ce projet fait qu’on renonce au petit jeu des comparaisons avant/après pour ne plus apprécier que son évidente qualité créative.
Au bout de la dernière plage, du dernier songe, on se retrouve conquis et décidé à renouveler l’expérience pour cette fois se mettre dans l’oreille l’identité sonore de chacun des groupes. Car c’est à ce point réussi que chacun d’eux a su se glisser dans ces augustes atours sans donner l’impression de se déguiser ni renoncer à son identité propre. Bravo, quoi – simplement : Bravo !
Au-delà de la réussite musicale, il en est une autre qu’il faut souligner : celle de l’instigateur du projet qui a su donner à cet objet hors normes la forme et l’esthétique qui lui conviennent le mieux. Jef Benech, deus ex-machina et cheville ouvrière de Mecapop, nous régale les yeux (mais pas seulement, l’odorat et le toucher sont également mis à contribution) avec un « packaging » (l’horrible mot, bien mal adapté en l’occurrence) de la mort qui tue, œuvre d’art à part entière. Foin de blabla : ce disque est un « must-have » que se doit de posséder tout amateur des Dots, tout amateur des musiques qui oublient de ronronner, tout amateur de beaux objets inclassables, et tout amateur d’expériences extrêmes et revigorantes. Cela fait du monde… et il suffit de suivre le lien ci-dessous pour ne pas mourir idiot.
https://mecapop.bandcamp.com/merch
[lundi 21 mars 2016, 07:29 UTC+01]
Illustrations : 1 – Cover du « livret intérieur », 2 – cover du disque (artwork © Stephan Barbery with Jef Benech) ; 3 – Jef Benech himself ; 4 – Logo de Mecapop.