Du charme discret de la mésaction

Aujourd’hui, un mot m’est naturellement venu sous la plume : « mésaction », au sens de « mauvaise action ». Bien qu’il me semblât couler de source, à le relire je finis par éprouver quelque méfiance. Cette mésaction si évidente à mes yeux l’était-elle à ce point ?

 

Mon Lexis Larousse quasi quarantenaire, auquel je me réfère comme le croyant à sa bible, en resta muet de stupéfaction. Le CNRTL, interrogé ensuite, me balança un lapidaire et définitif « Cette forme est introuvable ! ». Il me fallut creuser un peu plus loin dans les galeries de mine numériques pour exhumer un Dictionnaire des mots nouveaux, écrit par Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers et publié par Leautey éditeur à Paris, en 1845. « Mésaction, écrit-il à la page 424. Action blâmable, condamnable ; mauvaise, dangereuse, funeste, perfide action : c’est une mésaction. » Et dans la foulée, le hardi réformateur invente « mésactionnel », « mésactionnellement » et « mésactionner ».

Soulagé de constater qu’un autre avant moi en ait eu l’idée sans que l’usage ait jugé utile de transformer l’innovation en entrée des dictionnaires officiels, je me résignai néanmoins à effacer mon « mésaction » pour le remplacer par un bien fade mais plus consensuel « méfait ». En matière de langage, je suis d’un conformisme aussi réactionnaire que confondant. Tou-te-s les traducteur-trice-s ayant eu à subir un jour les foudres au stylo rouge d’un-e correcteur-trice outragé-e me comprendront.

Comment s’étonner, dès lors, que les dictionnaires manquent d’imagination ? Ils ne sont pas là pour ça. Ce sont des codes de la langue, qui régissent les usages afin que cohabitent écrivant-e-s (oups ! ça me reprend…) et lecteur-trice-s, comme le code civil est censé régir la vie en société. La fantaisie, le charme, l’imagination, c’est dans les dictionnaires oubliés, surannés, voire inventés, quand l’usage de certains mots a été oublié ou ne s’est jamais enraciné, qu’il faut aller les chercher.

N’empêche… j’aimais bien mon « mésaction », et l’envie fut grande de le laisser. Et si, en une bravade qui ressemble bien peu à mon moi social mais dont se serait régalé mon moi imaginaire, je l’avais laissé ? Et si, par extraordinaire, un-e correcteur-trice fatigué-e, ou sous-payé-e, ou surmené-e (ou tout cela à la fois), l’avait laissé passer ? Et si, par quelque miracle lexical qui n’obéit à aucune règle, passant d’un œil à une bouche, d’une bouche à une oreille, et d’une oreille à une autre ligne, ce terme si évident avait peu à peu fini par s’imposer au point de faire son entrée dans les dicos officiels ? Tout est possible, chantait le papilhomme…

C’est donc avec la mauvaise conscience d’un assassin coupable de quelque mésaction infanticide que je conclue ce billet malhabile pour m’en retourner à ma prose calibrée, tirée au cordeau, sanctionnée par le code de la langue officielle. Un autre jour, peut-être…

Amicalités à tou-te-s

L.D.

 

P.S. Dans quelque cent cinquante années, quand se sera imposée par la force des choses l’égalité réelle entre tous les humains quelle que soit leur origine ou leur sexe au point que l’on imaginera plus qu’il ait pu en d’autres temps en être autrement, je me demande comment réagiront nos descendants confrontés à nos tentatives maladroites et lourdingues ‒ mais néanmoins sincères et nécessaires ‒ d’écriture inclusive… J’espère qu’ils en riront, comme on s’amuse des maladresses de bambins apprenant à marcher.

 

Illustration : Franzisca Bilek (1906-1991), Le baiser de la muse du printemps.

5 commentaires sur “Du charme discret de la mésaction

  1. Promis, je glisserai ce mot dans un de mes textes qui te font t’arracher les fleurs de la tête, rien que parce que tu as illustré ton article de ce merveilleux strip de Franzisca à Olaf. ^^

    1. Non, non, m’sieur Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers est formel, et m’sieur Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers a toujours raison. « Mésactionner : V. act., commettre une mauvaise action, faire une chose blâmable, condamnable ; agir mal, méchamment, se livrer à de mauvaises actions : vous mésactionnez. » A « mésagir », nous avons :  » V. neut., agir mal, perfidement, contre le devoir, l’honneur, sa promesse : vous mésagissez. » Le distinguo est subtil, mais il existe. En revanche, il n’a pas prévu « mésagissement », je me demande pourquoi…
      Si tu veux jeter un coup d’oeil, il y en a deux pages avec le préfixe « més- » et c’est assez réjouissant. 🙂
      https://books.google.fr/books?id=prVfAAAAcAAJ&pg=PA424&lpg=PA424&dq=m%C3%A9saction&source=bl&ots=LdQSejHJVQ&sig=a4Ycp0ErfrDFvztPbKbBFx7M78c&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjFsb3z69LWAhXLlxoKHRs9CTcQ6AEIaDAN#v=onepage&q=m%C3%A9saction&f=false

      1. Mépenseur* ! Tu tentes de me mésillusionner alors que cet homme merveillise la langue !

        * Il l’a oublié, celui-là. ^^

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