Tante Marie, nouvelle de Georges Eekhoud

Moi aussi, il m’arrive d’avoir envie de raconter des histoires en m’inspirant d’une intrigante photo ancienne, mais je n’ai pas, hélas, l’ébouriffant talent de Georges Eekhoud pour ce faire. Ce texte, repris en volume dans le recueil ‘Mes communions’, est ici tiré du numéro de décembre 1896 de la revue belge Le coq rouge, à laquelle l’auteur collabora activement. Mirande Lucien, grande spécialiste et biographe de l’auteur, nous apprend dans ‘Eekhoud le Rauque’ : « Grâce aux souvenirs de Georges Eekhoud que confirme l’état-civil, nous savons que ‘tante Marie’, Marie Œdenkhoven, est la jeune sœur de sa mère, qu’elle a eu un enfant, mort à l’âge de neuf mois, alors que son filleul, le petit Georges, n’avais pas tout à fait dix mois. Elle a publié un recueil de poèmes sous le titre ‘Poésies, par Marie O’. » Je ne peux que vous encourager à lire ce texte bouleversant et d’une sauvage beauté formelle. Me hasarderais-je trop loin en affirmant qu’on y trouve les accents d’un Genet avant l’heure ?

Homme de sang, de crime, assassin et voleur, Ta mort à bien des yeux amoindrit ta souillure, Et moi je toucherais, moi dont la main est pure, Bien plutôt ta main que la leur ! MARIE O*** Combien de fois, aux heures crépusculaires, ne me suis-je absorbé dans la contemplation de ton lilial fantôme de phtisique, […]

Combat de coqs autour d’Oscar Wilde

Dans les colonnes de la revue belge Le coq rouge, l’écrivain français Camille Mauclair fait paraître en décembre 1895 une chronique au vitriol dénonçant la réaction de son confrère François Coppée dans « l’affaire » qui occupe alors l’Europe littéraire : la condamnation et l’emprisonnement d’Oscar Wilde pour faits de « pédérastie ». La plume est vive, la cause noble, la condamnation sans appel, le courage indéniable (on ne s’attaque pas impunément à un écrivain aussi établi à l’époque de l’est François Coppée). Rien que pour ces mérites, ce billet restituant une polémique oubliée a sa place ici. Puis, la curiosité pousse à aller lire le papier incriminé et la nausée survient. L’article de Coppée est effectivement puant, ignoble, et l’on comprend que la réaction de Mauclair n’a rien de surjoué et qu’elle est tout à son honneur. Les deux documents, fragments d’histoire littéraire par le petit bout de la lorgnette, sont rassemblés ci-dessous. Inutile d’en rajouter dans la glose, chacun se fera son opinion, mais il est un fait indéniable : on continue de lire Wilde aujourd'hui, alors que Coppée...

Lettre parisienne [L’exemplaire reproduit sur Gallica porte la dédicace suivante, à l’encre violette, signée par Camille Mauclair : « À Jean Lorrain, en souvenir de sa franche attitude dans l’affaire Oscar Wilde. »] Sous ce titre, j’ai accoutumé de donner au Coq rouge, mensuellement, des impressions sur les événements littéraires et artistiques de Paris. Les lecteurs de cette […]

Le moulin horloge, nouvelle de Georges Eekhoud

En préparant un prochain numéro d’OL’CHAP, je suis tombé sous le charme de la prose ensorcelante de l’écrivain belge Georges Eekhoud. Plutôt que de vous bassiner avec des considérations plus ou moins oiseuses ou éclairées sur cet écrivain et son œuvre (il y a des spécialistes pour ça, et ils ont bien travaillé), je ne résiste pas à l’envie de publier ici une courte nouvelle particulièrement frappante issue du recueil ‘Cycle patibulaire’ (1892), qui fit les délices de Rachilde et d’Oscar Wilde. Si vous ne connaissez pas cet auteur, il me semble que ce texte, poème en prose bien plus que nouvelle, peut constituer une porte d’entrée idéale à son univers autant qu’à son style. Prenez dix minutes, faites abstraction du reste et plongez. Vous ne le regretterez pas, et il se pourrait même que vous y preniez goût.

  Et le Verbe s’est fait Chair Je sais un moulin broyant aux infâmes le pain de l’expiation. Point d’ailes qui batifolent au vent salubre et frisquet des espaces. Rien du moulin à toit pointu comme un capuchon, par-dessus lequel les belles filles jettent leur blanc bonnet, — du moulin campé sur la butte ou la […]

Contre la mort et l’oubli, un rêve d’Arnyvelde

Rêvé d’Arny cette nuit. Il fallait bien que cela arrive, et d’une certaine manière, il est même étonnant que je ne l’aie pas fait plus tôt. Sans doute le fruit d’une longue maturation. Plus que le souvenir d’épisodes oniriques précis, il m’en reste ce matin une impression générale très vive, ainsi que quelques certitudes là où auparavant n’existaient que doutes, questionnements et interrogations. Couchons vite, alors que le monde est encore endormi et que le vent qui gémit sur la campagne normande semble m’en souffler à l’oreille les quelques phrases cahotantes et lapidaires, ces pauvres restes sur le papier virtuel avant que le jour ne les disperse.

  Dans un demi-sommeil qui semblait ne pas vouloir s’assumer comme tel, j’ai revécu les espoirs fébriles du post-ado qui couvrait de milliers de vers des pages éparses, se rêvant en homme de lettres et redoutant de ne pouvoir convaincre de sa vocation le brave père soucieux qui voulait faire de lui un homme de […]

La mort de Lucy Luciole, nouvelle d’André Arnyvelde

Sous ce titre, le tout jeune André Arnyvelde (il a alors vingt ans) signe dans les colonnes du Journal ce qui doit être l’un de ses premiers efforts à proprement parler littéraires. C’est en tout cas la trace la plus ancienne que j’ai pu retrouver, et ce mélo, s’il n’est pas exempt de maladresses et porte encore l’empreinte de la jeunesse, n’en est pas moins étrangement touchant. C’est la nouvelle du mois chez l’ours danseur.

  Elle était à cet instant où les yeux grand ouverts ne voient plus, où les oreilles ne perçoivent plus, où l’âme s’agite, comme prête à s’envoler, où le cerveau ne dispense plus de raison, où l’on devient une chose sans idée, inapte aux sensations, où l’on s’approche à pas lents de la tombe, où […]

Antipericatametanaparbeugedamphicribrationes merdicantium

Puisqu’il était question l’autre soir de la magie des titres d’une bibliographie accolés les uns derrière les autres (dans la nécro de Georgie, suivez un peu), en voici une qui m’a ravi dès que j’en ai pris connaissance et que je ne me lasse pas de recaser ici ou là (au grand dam de celles et ceux qui commettent l’erreur de me suivre d’un peu trop près). Au chapitre des bibliothèques imaginaires, on peut dire que le père Rabelais se posait un peu là...

  « Bigua Salutis. Bragueta Juris. Pantofla Decretorum. Malogranatum Vitiorum. Le Peloton de Theologie. Le Vistempenard des Prescheurs, composé par Turelupin. Le Couillebarine des Preux. Les Hanebanes des Evesques. Marmotretus de Baboinis et Cingis, cum commento d’Orbellis. Decretum Universitatis Parisiensis super gorgiasitate muliercularum ad placitum. L’Apparition de saincte Geltrude à une nonnain de Poissy estant en […]

Nécrologie de George Griffith, « dernier Anglais tombé à Azincourt »

Après avoir évoqué dans un précédent billet d’agit’prop le début de la carrière de George Griffith et sa vocation de globe-trotter, penchons-nous ici sur sa toute fin de vie que sa nécrologie, parue dans les colonnes du London Illustrated News, ne fait que résumer à gros traits.

  De nos jours, on appellerait cela un entrefilet – illustré par un portrait en médaillon, certes, ce qui nous permet de découvrir à quoi ressemblait l’auteur sur la fin de sa vie, mais un entrefilet tout de même. L’étoile de George Griffith avait il est vrai beaucoup perdu de son lustre lorsqu’il mourut prématurément, […]

La voie libre, notes de tourisme syncopé, Gus Bofa, 1947

Je n’achète pas de livres ruineux, j’investis dans l’essentiel. C’est ce que je me dis chaque fois que je sors des multiples couches protectrices d’un carton prometteur une petite merveille en plus ou moins bon état qui garnira mes étagères. Ce jour-là, j’étais heureux en ouvrant celui qu’un coursier inconscient du trésor qu’il convoyait m’avait remis sur le pas de ma porte. Et il y avait de quoi, jugez-en vous-même…

  L’évident génie de dessinateur de Gustave Blanchot (1883-1968) peut éclipser son talent d’écrivain, pourtant non moins éclatant. Pour preuve, ces quelques lignes, en guise d’avant-propos : « Ces notes ont été prises au hasard d’un long voyage, à l’aventure, que j’ai commencé quand j’étais tout petit, et que j’achèverai plus tard, quand j’aurai le temps. Elles […]

Entre le ciel et l’eau, Ernest William Hornung

Interruption momentanée de nos émissions pour cause de deadline ! Un impératif professionnel va me retenir loin de l’antre de l’ours danseur. Je serai de retour, si tout se passe bien, le 6 février 2017. En attendant, je vous ai laissé un peu de lecture. Il s’agit d’une nouvelle d’aventures maritimes, œuvre de l’écrivain anglais Ernest William Hornung (1866-1921), beau-frère de Sir Arthur Conan Doyle, également créateur d’un héros récurrent à succès (gentleman-cambrioleur quant à lui) : Arthur J. Raffles. Traduite par René Lécuyer (1887-?), elle est parue dans le numéro du 15 mai 1924 de Je sais tout. Les dessins ne sont pas signés, et c’est bien dommage, car ils font leur petit effet. Bonne lecture et à bientôt ! L.D.

Source : Je sais tout, 15 mai 1924. Publication originale : The star of the Grasmere, dans le recueil Some persons unknown, Charles Scribner’s Sons, New York, 1898. Le texte original est dans le domaine public, mais il subsiste un doute quant à la date de décès du traducteur. Toute information sera la bienvenue.

Portrait de George Griffith en globe-trotter

On peut considérer l’écrivain anglais George Griffith (1857-1906) comme l’un des pères fondateurs de la science-fiction moderne, dans le sillage de Jules Verne, qu’il admirait, et un peu avant Wells, dont la gloire littéraire lui fit de l’ombre. Alors qu’à la faveur du mouvement steampunk on commence à lui en rendre justice en anglosaxonnie, il n’est que très peu connu en France et pour cause : aucun de ses romans n’y a été traduit. Seuls deux intrépides connaisseurs du genre (Marc Madouraud et Richard D. Nolane) ont salué son talent en rendant disponibles deux de ses nouvelles dans notre langue. À son tour, l’ours danseur voudrait faire en sorte que l’œuvre de ce précurseur attachant puisse être mieux connue par chez nous. Le plan de bataille est prêt. Outre la traduction au long cours (et en cours) des deux énormes volumes de sa saga de ‘L’Empire de l’Air’, un OL’CHAP lui sera consacré qui reprendra trois de ses nouvelles les plus représentatives. D’ici là, l’agit-prop’ va entrer en action et vous pouvez vous attendre à croiser souvent ce nom sur ce blog… Première salve avec la traduction de ce portrait de l’écrivain en champion des globe-trotters. Cette interview, parue dans la revue anglaise The Sketch, offre l’avantage de reproduire un portrait de Griffith jeune (et à ma connaissance non diffusé sur le net), ainsi qu’un aperçu détaillé de ce qui faisait l’ordinaire de ces aventuriers décidés à battre tous les records avec les moyens de l’époque.

Une course autour du globe Rencontre avec le champion des globe-trotters Il fallait s’y attendre, à notre époque où tout a tendance à aller de plus en plus vite, les globe-trotters, qui remplacèrent voici vingt ou trente ans les touristes à l’ancienne, devaient tôt ou tard être dépassés par ceux que l’on pourrait appeler les […]