Antipericatametanaparbeugedamphicribrationes merdicantium

Puisqu’il était question l’autre soir de la magie des titres d’une bibliographie accolés les uns derrière les autres (dans la nécro de Georgie, suivez un peu), en voici une qui m’a ravi dès que j’en ai pris connaissance et que je ne me lasse pas de recaser ici ou là (au grand dam de celles et ceux qui commettent l’erreur de me suivre d’un peu trop près). Au chapitre des bibliothèques imaginaires, on peut dire que le père Rabelais se posait un peu là...

 

« Bigua Salutis. Bragueta Juris. Pantofla Decretorum. Malogranatum Vitiorum. Le Peloton de Theologie. Le Vistempenard des Prescheurs, composé par Turelupin. Le Couillebarine des Preux. Les Hanebanes des Evesques. Marmotretus de Baboinis et Cingis, cum commento d’Orbellis. Decretum Universitatis Parisiensis super gorgiasitate muliercularum ad placitum. L’Apparition de saincte Geltrude à une nonnain de Poissy estant en mal d’enfant. Ars honeste petandi in societate, per M. Ortuinum. Le Moustardier de Penitence. Les Houseaulx, alias les Bottes de Patience. Formicarium Artium. De brodiorum usu et honestate chopinandi, per Silvestrem Prieratem, Jacospinum. Le Beliné en Court. Le Cabat des Notaires. Le Pacquet de Mariage. Le Creziou de Contemplation. Les Fariboles de Droict. L’Aguillon de vin. L’Esperon de fromaige. Decrotatorium Scholarium. Tartaretus, De modo cacandi. Les Fanfares de Rome. Bricot, De differentiis soupparum. Le Culot de Discipline. La Savate de Humilité. Le Tripier de bon Pensement. Le Chaulderon de Magnanimité. Les Hanicrochemens des Confesseurs. La Croquignolle des Curés. Reverendi Patris Fratris Lubini, Provincialis Bavardie, De croquendis lardonibus libri fres. Pasquili, Doctoris marmorei, De capreolis cum chardoneta comedendis, tempore papali ab Ecclesia interdicto. L’Invention Saincte Croix, à six personnaiges, jouée par les clercs de Finesse. Les Lunettes des Romipetes. Majoris, De modo faciendi boudinos. La Cornemuse des Prelatz. Beda, De optimitate triparum. La Complainte des Advocatz sus la Reformation des Dragées. Le Chat fourré des Procureurs. Des Poys au lart, cum commento. La Profiterolle des Indulgences. Praeclarissimi Juris Utriusque Doctoris Maistre Pilloti Racquedenari, De bobelinandis Glosse Accursiane baguenaudis Repetitio enucidiluculidissima. Stratagemata Francarchieri de Baignolet. Franctopinus, De re militari, cum figuris Tevoti. De usu et utilitate escorchandi equos et equas, autore M. nostro de Quebecu. La Rustrie des Prestolans. M. n. Rostocostojambedanesse, De moustarda post prandium servienda lib. quatuordecim, apostilati per M. Vaurrillonis. Le Couillaige des Promoteurs. Questio subtillissima, utrum Chimera, in vacuo bombinans, possit comedere secundas intentiones, et fuit debatuta per decem hebdomadas in concilio Constantiensi. Le Maschefain des Advocatz. Barbouilamenta Scoti. Le Ratepenade des Cardinaulx. De calcaribus removendis decades undecim, per M. Albericum de Rosata. Ejusdem, De castrametandis crinibus, lib. tres. L’Entrée de Anthoine de Leive ès terres du Bresil. Marforii Bacalarii cubantis Rome, Dde pelendis mascarendisque Cardinalium mulis. Apologie d’icelluy, contre ceulx qui disent que la Mule du Pape ne mange qu’à ses heures. Pronostication que incipit,  » Silvi Triquebille  » balata per M. n. Songecrusyon. Boudarini, episcopi, De emulgentiarum profectibus enneades novem, cum privilegio Papali ad triennium, et postea non. Le Chiabrena des Pucelles. Le Cul pelé des Vefves. La Cocqueluche des Moines. Les Brimborions des Padres Celestins. Le Barrage de Manducité. Le Clacquedent des Marroufles. La Ratouère des Theologiens. L’Ambouchouoir des Maistres en Ars. Les Marmitons de Olcam à simple tonsure. Magistri n. Fripesaulcetis, De grabellationibus horrarum canonicarum, lib. quadraginta. Cullebutatorium confratriarum, incerto autore. La Cabourne des Briffaulx. Le Faguenat des Hespaignolz, supercoquelicanticqué par Frai Inigo. La Barbotine des Marmiteux. Poiltronismus rerum Italicarum, autore magistro Bruslefer. R. Lullius, De batisfolagiis Principium. Callibistratorium Caffardie, actore M. Jacobo Hocstratem, hereticometra. Chaultcouillons, de Magistro nostrandorum Magistro nostratorumque beuvetis, lib. octo gualantissimi. Les Petarrades des Bullistes, Copistes, Scripteurs, Abbreviateurs, Référendaires et Dataires, compillées par Regis. Almanach perpetuel pour les Gouteux et Verollez. Maneries ramonandi fournellos, per M. Eccium. Le Poulermart des Marchans. Les Aisez de Vie monachale. La Gualimaffrée des Bigotz. L’Histoire des Farfadetz. La Belistrandie des Millesouldiers. Les Happelourdes des Officiaux. La Bauduffe des Thesauriers. Badinatorium Sophistarum. Antipericatametanaparbeugedamphicribrationes merdicantium. Le Limasson des Rimasseurs. Le Boutavent des Alchymistes. La Nicquenocque des Questeurs, cababezacée par frère Serratis. Les Entraves de Religion. La Racquette des Brimbaleurs. L’Acodouoir de Vieillesse. La Muselière de Noblesse. La Patenostre du Cinge. Les Grezillons de Devotion. La Marmite des Quatre Temps. Le Mortier de Vie politicque. Le Mouschet des Hermites. La Barbute des Penitenciers. Le Tric trac des Freres Frapars. Lourdaudus, De vita et honestate Braguardorum. Lyripipii Sorbonici moralisationes, per M. Lupoldum. Les Brimbelettes des Voyageurs. Les Potingues des Evesques potatifz. Tarraballationes Doctorum Coloniensium adversus Reuchlin. Les Cymbales des Dames. La Martingalle des Fianteurs. Virevoustatorum Nacquettorum, per F. Pedebilletis. Les Bobelins de Franc Couraige. La Mommerie des Rebatz et Lutins. Gerson, De Auferibilitate Pape ab Ecclesia. La Ramasse des Nommez et Graduez. Jo. Dytebrodii, De terribiliditate excommunicationum libellus acephalos. Ingeniositas invocandi Diabolos et Diabolas, per M. Guinguolfum. Le Hoschepot des Perpetuons. La Morisque des Hereticques. Les Henilles de Gaïetan. Moillegroin, doctoris cherubici, De origine patepelutarum et torticollorum ritibus, lib. septem. Soixante et neuf Breviaires de haulte gresse. Le Godemarre des cinq Ordres des Mendians. La Pelletiere des Tyrelupins, extraicte de la Bote fauve incornifistibulée en la Somme Angelicque. Le Ravasseur des Cas de conscience. La Bedondaine des Presidens. Le Vietdazouer des Abbez. Sutoris, adversus quendam, qui vocaverat eum fripponnatorem, et quod Fripponnatores non sunt damnati ab Ecclesia. Cacatorium medicorum. Le Rammonneur d’astrologie. Campi Clysteriorum, per S. C. Le Tyrepet des apothecaires. Le Baisecul de chirurgie. Justinianus, De Cagotis tollendis. Antidotarium anime. Merlinus Coccaius, De Patria Diabolorum. »

Rabelais, Pantagruel, chap. 7, Comment Pantagruel vint à Paris et des beaulx livres de la librairie de Sainct Victor.

[Comment résister au besoin de venir déposer mon petit grain de sel sur la queue de ce beau pigeon dodu ? C’est que j’en ai vu passer, de doctes pages savamment appareillées cherchant à percer les intentions de l’auteur de ce répertoire, puisque c’est le nom qu’il faut lui donner. La plupart du temps, force était à leurs auteurs de reconnaître en conclusion qu’elles restaient énigmatiques, ces intentions, et sujettes à toutes les interprétations. Ah bon ? Vraiment ? Il me semble pourtant qu’il est possible rien qu’en regardant le portrait du bonhomme de se faire une idée assez précise de son projet. Voyez sa trogne de bon vivant, son œil qui frise, sa bouche qui s’orne d’une lippe de gourmandise à l’idée du bon tour qu’il est en train de jouer. M’est avis qu’il ne faut pas chercher plus loin la raison d’être de ce répertoire des « beaulx livres de la librairie sainct Victor ». Rabelais ne dénonce rien, il ne délivre aucun message crypté ; simplement, il se moque. De quoi ? De l’esprit de sérieux, qui est de toutes les époques et garde encore, qu’on se rassure, de très beaux jours devant lui. Détrompez-vous, je ne suis pas en train de débiner le travail des gens sérieux et des savants qui font de la littérature l’objet de leur science, loin de là. Je leur suis d’autant plus reconnaissant de leur magistère que je serais bien incapable de l’exercer. Ce que j’essaye (bien malhabilement) d’exprimer, c’est que depuis le temps qu’on se penche sur le corpus rabelaisien, on doit bien avoir fait à peu près le tour de la question. Et pourquoi ne pourrait-on pas aborder le monstre par un autre versant, avec d’autres outils, d’autres aperceptions ? Et de manière plus générale, pourquoi faut-il que les travaux savants en littérature aient toujours l’air aussi rébarbatifs et (pour tout dire) chiants ? Comme s’il était impossible de s’approcher de la vérité autrement qu’en adoptant la posture de l’austère savant… M’est avis que le chercheur, ou le curieux, ou le passionné, ou l’amateur qui se risquerait aujourd’hui à tenter de deviner quel était le contenu de La Cornemuse des Prelatz, ou de chercher à savoir qui était véritablement M. Guinguolfum n’aurait pas moins de légitimité rabelaisienne que le plus lettré professeur d’université, et que peut-être il aurait plus de chance de percer le « mystère » de l’auteur de Pantagruel. Celui-ci n’avait-il pas compris, comme le savent tous les enfants, qu’en ce monde rien n’est plus sérieux que le jeu ? Fay ce que vouldras…]

Illustration : François Rabelais (1483–1559), portrait anonyme du dix-septième siècle, doc. Wikipedia.

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